POCL: une fausse bonne idée ? Par Jean-Philippe Grand
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POCL: une fausse bonne idée ?
Contrairement aux caricatures que l’on peut lire ici ou là, voir les commentaires sur mon dernier article sur ce sujet, nous posons de réelles questions sur ce projet quitte à gâcher le bel engouement des autres partis politiques. Voici un extrait de l’argumentaire que nous avons envoyé à la commission du débat public :
« Un vrai débat public sur la ligne à grande vitesse Paris-Orléans-Clermont-Ferrand-Lyon ne peut pas se contenter de porter uniquement sur les quatre grandes familles de tracés proposées : il doit en premier lieu interroger l’opportunité du projet dans sa globalité.
Pour les écologistes, l’enjeu essentiel en matière de transport ferroviaire réside dans les déplacements de la vie quotidienne.
Nous assistons à la dégradation accélérée des infrastructures existantes. Face à la grogne légitime de nombreux usagers aspirant tout simplement à ce que leur train arrive à l’heure, la SNCF a publiquement reconnu, en début d’année 2011, l’existence de lignes malades, parmi lesquelles Paris-Orléans-Blois-Tours et Paris-Montargis-Nevers-Clermont-Ferrand. Alors qu’il n’y a jamais eu autant de projets de LGV, les acteurs publics réalisent-ils qu’il y a un réseau à sauver ?
De nos jours, compte tenu de la nécessité de diminuer les émissions de gaz à effet de serre, les principaux efforts financiers doivent viser un fort report de la route vers le rail pour les déplacements domicile-travail (ou études) ainsi que pour le fret, tout en favorisant un meilleur maillage territorial. Cela passe donc par l’optimisation du réseau existant, mais encore par la réouverture de lignes aux voyageurs, par le développement de lignes dans les zones périurbaines, par la modernisation de gares, …
Il y a un choix à faire !
L’Etat disposerait de 14 milliards d’euros pour engager un tel projet… alors qu’il est incapable aujourd’hui d’assurer correctement la maintenance et la rénovation de l’existant ?
La priorité : sauver et moderniser le réseau existant
La dégradation du réseau ferroviaire existant, dont les effets s’observent hélas avec de plus en plus d’acuité, doit conduire les pouvoirs publics à réaliser que le véritable enjeu des années qui viennent va consister à le sauver et à le moderniser.
La construction d’une LGV coûte plus de 10 fois plus cher que la fiabilisation d’une ligne existante : au moins 20 M€ le km de nouvelle LGV (voie double) contre 500 000 € du km en voie unique pour la rénovation des lignes classiques.
Les travaux nécessaires à l’optimisation du réseau existant (comme la création d’une 4ème voie entre Toury et Cercottes, les suppressions de passages à niveaux, la mise en place d’installations permanentes de contresens, etc.) sont faisables dans des délais relativement courts, c’est une question de choix politique.
Réouvrir des lignes fermées
Les réouvertures aux voyageurs des lignes Chartres-Orléans, Orléans-Châteauneuf ou Châteauroux-Loches, plus généralement le développement des étoiles ferroviaires de Tours et d’Orléans : voilà des projets à même de concourir au report modal et à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, en permettant à des milliers de nos concitoyens de se rendre en train à leur travail.
Réouvrir une ligne au trafic voyageurs revient en moyenne à 1,2 M€ du kilomètre en voie unique : là encore, c’est quelque chose de faisable bien plus rapidement qu’une nouvelle LGV.
L’impact environnemental
L’impact environnemental d’une LGV est nettement supérieur à celui d’une ligne classique :
la largeur de l’emprise est pratiquement doublée : 25 mètres en moyenne contre 13 en double voie classique,
les terrassements sont bien plus importants : la vitesse maximale élevée impose de très grands rayons de courbe qui s’inscrivent difficilement dans le paysage naturel,
la coupure pour la faune est équivalente à celle occasionnée par une autoroute.
Le tracé « Ouest Sud », soutenu en région Centre, nécessiterait en particulier :
d’accroître très sensiblement en Sologne, première zone Natura 2000 de France, l’emprise du couloir qui accueille déjà la voie ferrée POLT et l’autoroute A71, ou d’y créer une nouvelle saignée,
de traverser soit la réserve naturelle nationale de Saint-Mesmin (variante ouest), soit des sites inscrits et classés de la vallée de la Loire (variante est),
un nouveau pont sur la Loire (en plus des 5 menaces déjà envisagées par ailleurs entre Meung et Sully).
Le risque de déclassement du Val de Loire comme patrimoine mondial de l’UNESCO n’est pas à négliger.
La LGV traverserait la région Centre, mais elle ne la maillerait pas
La raison d’être essentielle du projet, « désaturer » Paris-Lyon, ne constitue pas un objectif structurant pour la région Centre, mais seulement une réponse à la croissance du trafic sur cette ligne.
Le doublement de Paris-Lyon devrait offrir un temps de parcours égal ou inférieur à l’actuelle LGV (1h57). Il ne faut donc pas s’attendre à voir chaque TGV s’arrêter à Orléans, puis quelque part dans le Cher, puis quelque part en Auvergne, avant de rejoindre Lyon !
Nous réclamons au contraire de renforcer le maillage du territoire régional, d’une part en fiabilisant et en optimisant le réseau ferroviaire existant, d’autre part en le développant avec des réouvertures de lignes.
Accélérer, par ailleurs, les investissements sur l’axe Rhône-Alpes-Centre-Océan, ce serait s’ouvrir non seulement vers Lyon, l’Auvergne ou la Bourgogne, mais aussi vers la façade atlantique (et en particulier vers le port de Nantes-Saint-Nazaire). L’intérêt est à la fois régional, interrégional et européen (Nantes-Genève).
Cette « croix » nord-sud/est-ouest, avec Vierzon pour point d’intersection, c’est le choix de l’audace : plutôt que de se satisfaire d’une position passive de périphérie parisienne, le Centre bénéficierait de son statut de carrefour à l’intersection de 2 axes transversaux du territoire national.
L’intérêt pratique des usagers
Au lieu de faire rêver nos concitoyens avec un projet pharaonique qui a de toute façon
très peu de chances de voir le jour, il est urgent de répondre à leurs réelles attentes.
Des gains de temps à relativiser
Sur Paris-Orléans, le meilleur temps de parcours serait estimé à 35 minutes avec une LGV (dans les scénarios « Ouest-Sud » et « Ouest » seulement). Mais on pourrait gagner du temps en réalisant quelques travaux moins prestigieux mais très concrets, comme la mise en place d’une 4ème voie entre Toury et Cercottes (actuel goulet d’étranglement du trafic entre Paris et Orléans). De même, pour un coût bien moindre que celui d’une LGV, ce sont près de 15 minutes qui pourraient être gagnées entre Paris et Châteauroux sur la ligne POLT classique si étaient enfin supprimés les derniers passages à niveau et si on y mettait du matériel plus rapide permettant d’atteindre 220 km/h entre Etampes et Argenton.
La vraie attente des usagers : des trains fréquents qui arrivent à l’heure !
Avant de se lancer dans la construction d’une nouvelle LGV, les pouvoirs publics doivent identifier les besoins auxquels ils doivent répondre en priorité. L’aspiration principale de nos concitoyens est-elle de gagner quelques minutes pour rejoindre Paris ? Il nous semble que les deniers publics seraient dépensés de manière nettement plus responsable et durable s’ils permettaient, via l’amélioration du réseau existant et la réouverture aux voyageurs de certaines lignes aujourd’hui fermées, d’assurer une meilleure qualité du service, avec des trains fréquents, confortables, accessibles, maillant convenablement le territoire régional, et qui arrivent à l’heure ! »